Arsenic et vieilles lunes



La récente proposition de déremboursement de l’homéopathie a soulevé un tollé. L’homéopathie, médecine alternative naturelle apparaît menacée par « Big Pharma »…

L’homéopathie, médecine qui remonterait à la nuit des temps ?

C’est une approche thérapeutique inventée à la fin du XVIIIe siècle par Samuel Hahnemann en reprenant de manière erronée la formule de Paracelse « Similia Similibus Curantur » (en latin : les semblables sont guéris par les semblables). Paracelse, médecin suisse de la Renaissance, se référait à la fameuse (fumeuse ?) Théorie des Signatures, qui peut être résumée ainsi : si une plante ou partie de plante ressemble à un organe du corps humain (l’approche des médecins était totalement empirique à l’époque, mais ils découpaient déjà des cadavres…), alors, bingo, le Créateur ou Mère Nature nous envoie un message (ne rigolez pas, il y en a qui croient à ce genre d’inepties de nos jours) : la noix est bonne pour le cerveau, les haricots pour les reins, il coule un latex jaune de la chélidoine, donc ça doit être bon pour le foie, et les racines anthropomorphes sont censées guérir de tous les maux (Mandragore en Occident et Ginseng en Orient…). Dans le lot, il y a évidemment statistiquement un faible pourcentage de plantes qui ont une action avérée (par exemple, le colchique, dont les racines rappellent les doigts déformés par la goutte, est effectivement actif sur les crises de goutte, mais au prix d’effets indésirables démesurés avec une marge thérapeutique étroite).

Deux siècles et demi plus tard, la pharmacologie a peu évolué et repose toujours sur le même ésotérisme à base d’humeurs, d’éther et de miasmes. À la même époque, Joseph Smith, un prédicateur américain invente une quatrième religion révélée… Bref, les Lumières sont passées par là, mais il y en a un sacré paquet qui est resté à l’ombre… Hahnemann extrapole donc la théorie de Paracelse en traduisant : une substance qui provoque à dose thérapeutique une maladie soignera cette maladie à condition de la diluer quasiment à l’infini (exemple, l’ipéca, émétique, utilisé contre les vomissements, mais avec des contradictions comme l’arnica, vulnéraire utilisé contre les bleus…) Donc, l’homéopathie est une croyance qui remonte à peu près à deux siècles.

Hahnemann développe une unité de dilution, la Centésimale Hahnemannienne (CH) : à 1 CH, la substance de base est diluée 100 fois. 2 CH, correspond à 1 CH dilué 100 fois, soit 1/10 000e. À 3 CH, on atteint le millionième… et à partir de 12 CH, 10-24 ! 18 grammes d’eau contenant six cent mille milliards de milliards de molécules, je vous laisse calculer ce qu’il reste à une dilution d’un million de milliards de milliards… Et l’homéopathie est censée aussi vous traiter avec des dilutions de 15 voire 30 CH.

À titre de comparaison, 10 CH correspondent à une goutte de substance dans le lac Léman, 23 CH, une goutte dans l’ensemble des océans et 40 CH, une goutte dans la masse totale de l’Univers…

L’homéopathie, médecine naturelle ?

On a souvent tendance à confondre l’homéopathie, ésotérique, avec la phytothérapie, médecine par les plantes, souvent efficace et à la base de nombreux médicaments modernes. Les souches homéopathiques sont infiniment variées : organes d’animaux, venins (il y a des vegans qui se soignent par homéopathie ?), éléments chimiques, rayons ionisants et, enfin, plantes, lesdites plantes ne représentant pas la majorité des souches utilisées…

Prenons par exemple le cas de l’Oscillococcinum, le best-seller de l’hiver : l’oscillocoque était un micro-organisme qu’un médecin militaire aurait cru découvrir au début du XXesiècle. Comme personne n’a jamais réussi à identifier ce germe, Boiron fait pourrir des foies et des cœurs de canard puis dilue ce brouet infâme quasiment à l’infini pour le vendre comme un remède aux états grippaux.

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Big Pharma, really ?

Ce qui nous amène au troisième point, le fameux Big Pharma, best-seller des sites confusionnistes et conspirationnistes. Une entité abstraite qui chercherait à empoisonner le peuple… Là où les chemtrails échouent, Big Pharma réussit à éliminer sa concurrence… Concurrence ? Boiron est l’une des firmes pharmaceutiques les plus florissantes, qui pratique le chantage à l’emploi pour maintenir le remboursement de ses produits. Les commerciaux de Boiron poussent le lobbying en amont jusqu’à donner des cours d’homéopathie en tant qu’intervenants extérieurs dans les facultés de médecine et de pharmacie et les écoles de sages-femmes. Le guide de prescription rédigé par Boiron remporte un tel succès que 90% des prescriptions des sages-femmes sont constituées de petites boules de sucre.

Son principal concurrent, Weleda, est incontournable auprès des adeptes de l’homéopathie intégrative, forme de fusion entre les théories de Hahnemann et une médecine d’inspiration anthroposophique. Par exemple, on cueille une plante un soir de pleine lune sur un terrain riche en étain puis on habille le « remède » avec le voile évanescent de noms latins mystérieux, ce qui donne Taraxacum stanno cultum (pissenlit). Le côté bio des gels douche Weleda peut paraître sympa, mais comme dans d’autres domaines, l’acheter revient à soutenir les vitrines légales de la secte de Steiner (Weleda, NEF, Kokopelli, Pierre Rabhi, etc.) qui sont tout sauf « antisystèmes ».

Et pour en revenir au prétendu Big Pharma, l’opposer à des médecines pseudo-alternatives au mieux relevant de l’escroquerie intellectuelle, au pire de la dérive sectaire charlatanique, relève du complotisme le plus débile et détourne du véritable problème, la marchandisation de la médecine dans un système capitaliste faisant fi de la santé de la population au nom d’une recherche sans fin du profit.

L’homéopathie à l’épreuve de la science

En quoi le déremboursement de l’homéopathie est-il une mesure salutaire ?
D’abord, au niveau du principe de la dilution homéopathique. Imaginez un verre rempli d’eau. Statistiquement, il est censé contenir toutes les souches homéopathiques à différentes dilutions. Un verre d’eau soigne-t-il autre chose que la soif ?

Apparemment, pour les adeptes, c’est plus complexe : l’homéopathie repose sur de bonnes pratiques de préparation garantissant la pureté des souches et de leurs dilutions. De plus, à chaque dilution, on pratique la succussion. La succussion, c’est le fait de secouer la préparation, lui conférant des propriétés thérapeutiques contrairement à l’eau du robinet… Sérieusement, qui peut croire à de pareilles idioties ? Probablement les mêmes personnes qui pensent que le vortex invoquant les forces telluriques, pratiqué en biodynamie, améliore la qualité du vin…

Et pour les dilutions supérieures à 12 CH ? Nous avons vu qu’au-delà de 12 CH, il n’y a plus aucune trace de la substance de départ. Une tentative de réponse a été donnée en 1987 par un chercheur, Jacques Benveniste, qui a prétendu alors avoir démontré que l’eau garderait en mémoire les substances avec lesquelles elle aurait été mise en contact. L’absence de reproductibilité de son expérience a vite abouti à la conclusion qu’il s’agissait au mieux de biais ou d’artefacts, au pire de fraude. Pour la petite histoire, les recherches de Benveniste étaient financées par Boiron.

Ça, c’était pour l’aspect théorique. Vous allez me rétorquer qu’« ouais mais l’homéopathie, ça marche » ! Toutes les tentatives de démonstration de l’efficacité de l’homéopathie ont lamentablement échoué (échantillons de populations trop faibles, « erreurs » de méthodologie…). Lors des tests en double aveugle contre placebo, l’efficacité n’était jamais supérieure à celle d’un placebo. La conclusion qui s’imposerait logiquement serait donc que l’homéopathie soigne par effet placebo, et n’a donc pas sa place parmi les médicaments remboursés par l’Assurance Maladie.

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En matière de religion, la position de la plupart des athées est de considérer que c’est aux croyants de démontrer l’existence de Dieu plutôt qu’aux athées de prouver son caractère illusoire. L’absence d’efficacité démontrée de l’homéopathie aurait donc dû suffire à la considérer comme une escroquerie. Comme les pèlerinages à Lourdes ou ailleurs ne sont pas remboursés par la Sécu, personne ne s’excite sur le sujet de la religion. En revanche, pour l’homéopathie, la problématique est différente puisque la pression des firmes permet le remboursement de pratiques religieuses conférant au sucre des vertus magiques. La revue médicale The Lancet a donc lancé une méta-analyse sur 110 études comparant l’efficacité de l’homéopathie et celle du placebo (ou du nocebo, l’effet qui explique pourquoi l’homéopathie « marche » sur mon bébé et mon cheval) dont le résultat, publié en 2005 est sans appel : l’homéopathie agit par effet placebo.

Le déremboursement est donc une mesure justifiée non par la pression de supposés lobbys (pas cette fois en tout cas), mais par la nécessité de mettre fin à une imposture intellectuelle et scientifique.

Et ce qui peut paraître anodin, inoffensif et peu coûteux masque en réalité une médicamentation de la société (le petit granule qui guérit le petit bobo qui partirait encore plus vite à l’aide d’un glaçon), une défiance vis-à-vis de l’« allopathie » entretenue par les sites complotistes et pouvant conduire à l’arrêt de traitements lourds mais efficaces (chimiothérapies, par exemple), l’utilisation de pseudo-vaccins homéopathiques n’ayant aucune action sur l’immunité en lieu et place de vaccins éprouvés scientifiquement, et le tout pour le plus grand profit de multinationales exposant des travailleurs à des rayons ionisants (Rayons X 30 CH !), des poisons violents (Arsenicum album), des souches virales ou bactériennes (Influenzinum, Yersin) ou des venins de serpents ou d’hyménoptères (Lachesis mutus, Apis mellifica).

À l’heure où l’on vous démontre le plus sérieusement du monde que la Terre est plate en posant un niveau à bulle sur un rail de chemin de fer, la souffrance générée par un système économique broyant l’individu et ruinant la planète dans sa course effrénée au profit provoque une remise en cause de tous les progrès scientifiques et un engouement pour une médecine et une écologie New Age alimentées par les confusionnistes et les conspirationnistes de tous bords, et par la soif d’ésotérisme de l’humain en situation de détresse. On confond allègrement agriculture raisonnée et biodynamie, phytothérapie et homéopathie, naturel et ésotérique et l’on pratique un pseudo-retour aux sources sur fond de Pachamama fantasmée, en anesthésiant au passage son esprit critique. L’engouement que suscite un imposteur comme Pierre Rabhi, les réactions outrées à l’annonce du déremboursement d’une pratique charlatanique, l’adhésion à des pratiques de green washing qui ne remettent pas en cause l’ordre établi nous détournent du véritable problème à éliminer, le capitalisme, tout en enrichissant ses alliés objectifs verdâtres.

Les douches courtes ne sauveront pas la planète, pas plus que le vortex n’améliorera la qualité du vin, ni que la pleine lune ne déclenchera les accouchements… Et surtout, les boules de sucre ne soigneront jamais rien d’autre que le portefeuille des charlatans et des multinationales du granule magique.

Ni Dieu, ni Maître, ni Gourou.

Le Père Lapurge

Article paru dans RésisteR ! #57 le 22 septembre 2018